La carte postale :
le trait d'union entre le passé et le présent
La loi de séparation des Églises et de l'État est votée en juillet 1905 et promulguée le 9 décembre de la même année. Les cultes protestant et israélite adhèrent sans heurt à cette désunion considèrant que dans l'ensemble, elle leur apporte une équité avec les catholiques. Mais le pape Pie X dénonce une rupture unilatérale du Concordat de 1801 et condamne fermement cette politique d'hostilité systématique. Les catholiques français rejettent donc son application.
Le douloureux divorce prononcé, les inventaires doivent être effectués partout en France, pays devenu une république laïque. Les recensements des biens du clergé causèrent des échauffourées plus ou moins violentes dans quelques paroisses où la manifestation prit un tour politico-religieux. La raison d'une telle opposition est globalement la certitude d'une spoliation, de la vente des objets saisis et la profanation d'objets sacrés.
En Ariège, les inventaires sont exécutés sans incidents majeurs excepté dans certaines communes. Au hameau de Cominac, les habitants revendiquent haut et fort que leur église n'appartient ni à l'État, ni au département, ni à la commune parce-qu'ils l'ont financée à leurs frais et construite sur leur propre terrain, à la sueur de leur front. Durant cette période de crise, cette détermination va engendrer dans la petite vallée une résistance relativement singulière.
Le 20 février 1906, l'abbé Pascal Mirouze est informé par les autorités départementales que la date de l'inventaire de son église est fixée dans la matinée du 6 mars 1906. Aussitôt, il en informe ses confrères Edmond Caujolle, vicaire d'Ercé, Jean-Baptiste Donat, curé d'Aulus-les-Bains et Jean Piquemal, curé d'Aleu. Les quatre ecclésiastiques s'engagent, en commun accord avec tous les fidèles de Cominac et l'aide des montreurs d'ours accompagnés de leur animal, à défendre le droit de propriété qu'ils ont sur l'abbatiale. Sans délai, leur première réaction est de déménager et de cacher en lieu sûr les objets du culte les plus précieux.
En cette belle matinée, vers neuf heures trente, les guetteurs, postés assez loin, aperçoivent sur la route qui mène à Ercé, Peytou Pierre, le percepteur d'Oust, accompagné de Ajas Adrien et Rogalle Jean-Pierre, gardes champêtres d'Ercé et de Rogalle Courate, adjoint au maire. Au plus vite, ils alertent leurs compagnons qui les précèdent par grands gestes et des coups de sifflets jusqu'au carillonneur du village qui se hâte de sonner les cloches à toute volée. Promptement, les hommes et les femmes de Cominac, qui sont très pratiquants, abandonnent leurs travaux et s'empressent de rejoindre l'église où sont déjà positionnés depuis de bonne heure certains d'entre eux.
Dès leur arrivée, les quatre représentants de l'État sont désagréablement surpris, sans doute impressionnés aussi, de se trouver face à une foule compacte au moins équivalente à la population de Cominac; près de deux cent femmes et enfants attendent, alors qu'une centaine d'hommes organise un rempart devant l'entrée du bâtiment secondés de trois belles ourses muselées dressées sur leurs pattes arrières et tenues en laisse par leurs montreurs, loyaux ambassadeurs de ce pays. Placés devant les portes de l'église bien fermées, l'abbé Mirouze et ses trois assesseurs les accueillent. Après l'annonce du fonctionnaire de leurs noms et qualités au curé de Cominac, celui-ci lit sans tarder à haute voix une longue protestation, assez violente, et aussi un très long acte notarié consignant que l'église de Cominac a été acquise et construite avec le concours exclusif des habitants de ce hameau. Ensuite, il fait appel au dévouement de ses fidèles pour résister par la force aux opérations de l'inventaire et prie le receveur de s'incliner devant les preuves irréfutables sous un tonnerre d'applaudissements mêlé des cris de « Vive Dieu ! Vive la liberté ! ». Soudain, le curé Jean Piquemal, homme hors du commun, réputé bagarreur et impulsif, surenchérit en appellant toute l'assemblée à la résistance à outrance, concluant par ces paroles : « Nous résisterons jusqu'au bout, car nous préférons mourir dans le sang que vivre dans la boue ». À cette invective, le percepteur Peytou fait preuve d'un grand sang froid car il sait que les opposants ne sont nullement menaçants à son égard et ses assistants; il demande calmement à la foule l'autorisation de lui adresser quelques mots. Sur son consentement, il explique que personne ne leur conteste la propriété de leur église et que le gouvernement de la République, qui a fait voter quelques lois à la faveur des citoyens, n'a pas l'intention de les dépouiller et de les voler, en précisant à l'avenant qu'il les avait prévenu quinze jours à l'avance. Enfin, il déclare solennellement que la loi a toujours le dernier mot et que s'ils l'obligeaint de revenir escorté par la force armée, il redoutait des incidents tragiques. Alors dans leur intérêt et en tant qu'ami, il les sollicite de le laisser procéder à l'inventaire et d'ouvrir les portes de l'église. Sur-le-champ, une voix lui récrimine qu'il n'y a aucune animosité envers sa personne mais qu'ils n'approuvent pas du tout la formalité qu'il doit accomplir dans leur église. Devant le ferme refus des manisfestants et l'impossibilité de pénétrer dans le sanctuaire, le percepteur des Domaines d'Oust vraisemblablement agacé, les deux gardes-champêtres et l'adjoint se retirent pour aller dresser un procès-verbal. Dans cet acte adressé au préfet et au directeur de l'Enregistrement du département de l'Ariège, monsieur Peytou soulige que « ces braves gens, très bons contribuables, ont été préparés et trompés ».
Dix huit jours après, à 9 heures du matin au presbytère, Peytou Pierre avec ses accompagnateurs établit une seconde tentative auprès du curé de Cominac qui, ne voulant pas prendre seul la décision d'autoriser ou de refuser l'entrée de l'église, fait appel à quatre membres de la Fabrique de la paroisse. Toutes les personnes concernées étant réunies, une conversation et des explications courtoises s'engagent alors laissant pendant un moment entrevoir un accord, lorsque brusquement le président du Conseil de Fabrique et ses trois collègues, pourtant indécis, rejètent catégoriquement l'application du recensement. Leur mission se trouvant terminée, les quatre agents repartent à nouveau sans rien avoir obtenu.
Le printemps et l'été ont tiré leur révérence paisiblement et sans souci. Quant à l'automne, il retranche peu à peu les êtres dans leur maison près de l'âtre, bien au chaud. La vigilance des paroissiens sur leur église s'émousse inexorablement et on prend soin de rapatrier toutes les reliques à leur place. Bref, une vie simple et ordinaire reprend ses marques dans la petite communauté.
Ce mardi 20 novembre 1906 à la pointe du jour, des gendarmes surgissant de nulle part interceptent le carillonneur venu quotidiennement ouvrir l'église pour sonner l'angélus. Cette fois, les émissaires du gouvernement décident d'intervenir discrètement et à l'improviste avec l'appui d'une brigade de gendarmes à cheval, et investissent immédiatement le lieu. Seules, quelques rares personnes éveillées par le pas des chevaux des gendarmes sont maintenues à une certaine distance, sous peine d'interpellation de tout perturbateur. Finalement, les délégués chargés de l'inventaire accomplissent sereinement leur travail qui se déroule sans incident. Après leur départ, aucun objet n'a été soustrait au grand soulagement de la population de Cominac.
Quelques jours après cet évènement, Monsieur Fauré, photographe à Saint-Girons, effectue une reconstitution de la tentative d'inventaire de cet édifice religieux. Il éditera une série de sept cartes postales numérotées décrivant la chronologie de cette remarquable opération. Ces photographies ne constituent pas un véritable témoignage des actions menées mais leurs éditions permirent de faire connaître, même au-delà de nos frontières, comment l'État succomba, tout au moins temporairement, au courage d'une petite paroisse unie autour de son curé.
Dans le langage courant, on parle souvent de façon abusive de « séparation de l'Église et de l'État », généralement en ne faisant référence qu'au catholicisme, avec lequel l'État français était officiellement lié depuis le concordat de 1801. Le terme « Église » est en fait au pluriel car il fait référence aux trois cultes que l'État français reconnaissait sur son territoire avant cette loi : cultes catholique, protestant (réformé et luthérien), israélite.
Ours des Pyrénées
1.- Inventaire de Cominac, près Oust (Hte-Ariège)
Ours des Pyrénées venus défendre l'église
Fauré et ses fils, phot-éditeurs, St-Girons- Foix
Petite précision : les montreurs d'ours avaient en fait amené trois ourses le jour de l'inventaire.
Ours des Pyrénées
2.- Inventaire de Cominac, près Oust (Hte-Ariège)
Les oussaliers dressant les ours à se servir de la trique
Fauré et ses fils, phot-éditeurs, St-Girons- Foix
(1918)
Ours des Pyrénées
3.- Inventaire de Cominac, près Oust (Hte-Ariège)
À l'appel des cloches, les ours gardent l'entrée de l'église
Fauré et ses fils, phot-éditeurs, St-Girons- Foix
Ours des Pyrénées
4.- Inventaire de Cominac, près Oust (Hte-Ariège)
L'attente des représentants de la loi
Fauré et ses fils, phot-éditeurs, St-Girons- Foix
(1909)
Ours des Pyrénées
5.- Inventaire de Cominac, près Oust (Hte-Ariège)
Arrivée des représentants de la loi
Fauré et ses fils, phot-éditeurs, St-Girons- Foix
(1907)
Ours des Pyrénées
6.- Inventaire de Cominac, près Oust (Hte-Ariège)
Lecture de la protestation par le curé protégé par les ours
Fauré et ses fils, phot-éditeurs, St-Girons- Foix
La protestation a été bien lue par l'abbé Pascal Mirouze de la paroisse de Cominac.
Derrière lui, le vicaire d'Ercé, l'abbé CAUJOLLE, brandit un prie-Dieu pour le cliché.
Ours des Pyrénées
7.- Inventaire de Cominac, près Oust (Hte-Ariège)
Une scène pendant la lecture de la protestation
Fauré et ses fils, phot-éditeurs, St-Girons- Foix
Une autre personne imite encore avec un prie-Dieu le geste de l'abbé Caujolle, tandis que les montreurs d'ours présentent bien en évidence leur solide bâton démontrant ainsi leur désapprobation à l'arrivée - factice - des représentants de l'État.
À la droite de Monsieur l'abbé, est identifié le montreur d'ours Pierre Sirgand (1878-1952) dit « Bessou », du hameau du Plech près d'Oust, avec sa belle ourse.
Au delà du département de l'Ariège, la défense de l'église de Cominac a bien marqué quelques esprits mais malheureusement des publications fantaisistes consacrées au Couserans ont brouillé le succès de ce mouvement; ce sont des ours agressifs qui ont eu le rôle principal. Rien n'est dit sur la foule tout aussi remarquable.
L'inventaire à Cominac canton d'Oust
Ce sont les royalistes et les ultramontains soudoyés et surexcités par les comités occultes qui entravent les inventaires légaux
Discours de Mr Briand à la Chambre des Députés
«Â Les ours l'ont bâtie c'est eux qui l'ont défendue »
Ed. Alet
Aristide Briand, alors simple député républicain-socialiste de la Loire, est le Rapporteur de la Commission sur la loi de séparation des biens de l'Église et de l'État devant les Chambres, et en conséquence son fervent défenseur. Sur cette carte d'une caricature politique, à son acerbe discours à la Chambre des Députés, le dessinateur toulousain Edmond Alet appose le slogan « Les ours l'ont bâtie, c'est eux qui l'ont défendue ».
Les trois frères Martin s'opposent à l'inventaire de l'Église de Cominac (Ariège)
Gloire au curé ! Grâce à ses tours,
La Foi triomphe par les ours.
Le percepteur
Je viens dans ce lieu saint pour dresser l'inventaire,
Je viens au nom du Fisc pour saisir Dieu le père,
La Vierge, tous les Saints, la Sainte-Trinité.
Le curé
Épargnez-vous, Monsieur, cette corvée amère,
Avec le Dieu puissant, craignez d'entrer en guerre,
De brûler dans l'enfer pendant l'éternité.
Le percepteur
Obéis ! Dit la loi ; Seigneur que dois-je faire ?
Le curé
La Loi cède à la Foi ! Paroles du Saint-Père ;
Gardez-vous d'appliquer la Loi d'iniquité !
Le percepteur
La Foi cède à la Loi !...Ciel, l'Église un repère
De trois ours affamés, ayant fait maigre chère ;
Des trois frères Martin, la feinte Trinité !
Le curé
fuyez ou de vos os dressez bien l'inventaire,
Des Ours ayant pour loi la faim, leur conseillère,
Vont réduire en pâté votre altière unité !!!!
Jules Selhiap
Depuis mars 2006, la petite église de Cominac héberge, à la faveur de son abbé Lucien Allen, une exposition permanente rappelant le courage du curé de Cominac, de ses trois coadjuteurs et de ses paroissiens. C'est le fruit de longues et patientes recherches de Monsieur Roger Carrère (cf Blog de Cominac1906), enfant du pays, avec la participation et l'aide matérielle de la mairie d'Ercé à la réalisation de ce vibrant hommage.
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